L’IA : repenser la création de valeur par le dialogue social par le diagramme d’Ishikawa des « 5C »
A l’ère de la transition numérique et écologique, l’intelligence artificielle ne se contente plus d’être un simple outil. Elle devient un révélateur, un catalyseur, du monde professionnel. Pour comprendre ses effets profonds sur la performance économique générée collectivement, cet article propose une approche, inspirée du diagramme d’Ishikawa : à la traditionnelle grille des « 5M » succèdent les « 5C » qui représentent les causes produites par l’IA pour repenser la performance économique par le dialogue social : Compétences, Collaborateurs, Conditions de travail, Concertation sociale et Climat.
Une invitation à la réflexion prospective pour les directions RH, les élus du personnel et les directions financières, à l’heure où la performance économique doit concilier avec la performance sociale et environnementale.
Compétences : entre hybridation et proactivité des prospectives rh
L’intelligence artificielle transforme notre rapport au savoir : elle oblige à savoir questionner avant de savoir exécuter. Les collaborateurs doivent apprendre à interagir avec des systèmes qui, loin d’être neutres, reflètent des logiques, des biais et des intentions. Cette capacité à interroger, filtrer, arbitrer devient une compétence stratégique. L’article L6321-1 du Code du travail, qui impose à l’employeur d’assurer l’adaptation des salariés à l’évolution de leurs postes, prend ici une dimension nouvelle.
Les métiers se réinventent au croisement des disciplines. Les plans de développement des compétences doivent désormais intégrer cette hybridation : IA, soft skills, pensée critique, agilité. Par ailleurs, l’IA générative se nourrit de données, souvent issues de l’activité collective. Mais la qualité, la traçabilité et l’éthique de cette donnée deviennent capitales. Un nouveau rôle pourrait émerger : celui de AI Data Quality Manager, garant de la fiabilité et de l’intégrité des données exploitées. Il s’agit là d’un enjeu autant technique qu’éthique, où la transparence, la sécurité et la responsabilité doivent guider les choix. Cette exigence appelle les RH et les DAF à collaborer étroitement dans la gouvernance des données internes.
Collaborateurs : vers une collaboration augmentée
L’IA favorise l’entrelacement des expertises plus que leur addition. Elle déplace la valeur créée, bouleversant la reconnaissance traditionnelle des rôles dans l’entreprise. La hiérarchie des compétences s’efface au profit d’une chaîne d’intelligence collective.
Dans ce nouvel équilibre, même si la rémunération et les avantages sociaux demeurent des leviers fondamentaux de motivation, la quête de sens au travail est un liant récurrent dans les attentes des collaborateurs pour adhérer à un projet d’entreprise. L’usage de l’IA, selon son intensité et sa fréquence, peut influencer le sentiment d’utilité, voire fragiliser la reconnaissance sociale des salariés.
Dès lors, la collaboration reprend son sens originel : travailler ensemble pour un but commun. L’intelligence collective augmentée ne naît pas de la performance d’un outil, mais de la richesse des biais cognitifs et des expertises partagées.
Conditions de travail : l’efficience ou l’épuisement cognitif ?
La promesse de gain de productivité grâce à l’IA repose en partie sur l’automatisation des tâches. Mais derrière cette promesse, une réalité émerge : celle d’une fatigabilité cognitive liée à l’interaction permanente avec les systèmes. Questionner, reformuler, interpréter des réponses parfois biaisées… L’IA sollicite sans cesse nos capacités de discernement. Cet effort mental continu pourrait-il mener à un burn-out technologique ? La question mérite d’être posée, notamment dans le cadre des négociations sur le temps et les conditions de travail. Il devient nécessaire d’intégrer les discussions de l’IA dans les informations- consultation notamment en santé, sécurité et condition de travail comme au négociation d’accord, autour de questions telles que : comment repenser les rythmes ? Quelle utilité à l’introduire des temps de récupération productive ? Faut-il réguler l’exposition aux outils ?
Concertation sociale : un indispensable au déploiement de l’ia en entreprise
Trop souvent perçue comme un frein, la concertation sociale s’impose pourtant comme un levier stratégique. L’article L2341-9 du Code du travail impose une information-consultation du CSE lors de l’introduction de nouvelles technologies. Cela consiste à présenter le projet avec tous les éléments nécessaires à la compréhension de la technologie, de son usage et de ses conséquences sur la marche générale de l’entreprise. La décision de la Cour de Nanterre du 14 février 2025 (n° 24/01457) rappelle que même en phase d’expérimentation, un outil d’IA est considéré comme déjà déployé et conclut à « un trouble manifestement illicite ».
Face à l’incertitude, la concertation devient un espace-temps responsable : les représentants du personnel sont replacés en véritables «sparring-partners de la transformation». Le dialogue social est indéniable pour accompagner les changements, anticiper les inquiétudes et nourrir une intelligence collective inclusive.
Climat : vers une sobriété numérique choisie
L’impact environnemental de l’IA est tangible : consommation énergétique, extraction minière, pollution numérique. Une question se pose alors avec acuité : Est-il nécessaire de tout prompter ? L’usage raisonné des technologies devient un marqueur de maturité collective. L’éco-anxiété, l’angoisse des conséquences des évènements climatiques de plus en plus présente, impose d’inscrire la sobriété numérique dans la conduite des modifications organisationnelle. Il s’agit également d’un sujet à traiter dans le cadre du dialogue social en raison de la prérogative environnementale du CSE apportée par la loi résilience et climat de 2021.
Conclusion
À l’objectif de performance économique, souvent motivé par le gain de productivité, s’ajoute une nécessaire prise en compte des considérations sociales et environnementales. Chacun de ces « 5C » interagit avec l’intelligence artificielle, révélant autant de tensions que d’opportunités. Faire le choix du dialogue social permet de composer avec le triptyque « profitabilité, responsabilité et durabilité ».
Et vice-versa …
Le cse et son rapport aux solutions ia
Face à la complexité croissante des missions du CSE – analyse de la BDESE, rédaction de PV, synthèse de rapports – les outils d’intelligence artificielle deviennent des alliés opérationnels. Certains élus ont déjà recours à ces technologies, intégrées soit dans des outils choisis par le CSE (comme Canva ou Copilote), soit via des déploiements internes pilotés par l’employeur.
Mais ce gain de productivité s’accompagne de points de vigilance essentiels :
La qualité du prompt influence directement la pertinence des résultats, au risque d’induire en erreur ou de déformer les analyses.
La confidentialité des données est en jeu, tant sur les solutions externes (risques de fuite ou d’accès non autorisés) que sur les outils internes, contrôlés par l’employeur, soulevant la question de l’étanchéité de l’information.
Dans ce contexte, se pose une question stratégique : le recours à une IA modifiant les conditions de fonctionnement du CSE ne devrait-il pas faire l’objet d’un processus d’information-consultation ouvert auprès de la direction ?
Ecrit par Dialocratie.
Article extrait du livre blanc sur “IA 50 Regards croisés sur une nouvelle ère”, publié sous la direction Wassim Mimeche et direction artistique Gaël Dupret